Trois objectifs d’épiscopes se télescopent dans un trombinoscope |
Je dois l’avouer, j’ai toujours voué un culte à l’optique en général et aux « super fast prime lenses »…en particulier. En clair je suis féru d’objectifs hyper-lumineux. Cette grande passion pour les belles optiques est survenu si ma mémoire est bonne lorsque j’ai découvert il y a quelques années que pour la première fois dans l’histoire du cinéma, un cinéaste (Stanley Kubrick) utilisa une optique spécialement réalisée pour les astronautes de la NASA, le Carl Zeiss Planar 50mm f/0.7, afin de tourner une scène uniquement à la lumière de bougies. Ce film c’est « Barry Lyndon ».
Quand on connait la faible sensibilité des pellicules de l’époque (années 70) et la gageure que représentait l’utilisation d’un tel objectif en termes techniques (aberrations chromatiques, très faible profondeur de champ) on ne peut qu’être admiratif devant cet exploit.
Depuis, donc, mon intérêt pour les belles optiques, pas seulement les plus connues mais aussi les joyaux insoupçonnables n’a fait que grandir. Toujours à la recherche de perles rares, j’ai pu acquérir au fil du temps :
- Un Tarcus 50mm f/0.95 en C-mount (équivalent du Noctilux de Leica)
- Un Schneider Xenon 25mm f/0.95 en C-mount
- Un Fuji 50mm f/0.7 en C-mount que je n’ai jamais pu tester (arrière trop proéminent)
- Un Canon 50mm f/1.2 en FL-mount
Mais récemment, mon intérêt pour le grand format et le collodion étant grandissants, je me suis mis à rechercher des optiques lumineuses pour mes 2 chambres 13×18. En effet, je fonctionne selon l’équation suivante : (peu de moyens)x(passion)=expérimentation². Ce qui m’a amené à essayer des optiques d’épiscopes sur mes chambres. Je n’ai rien contre les Petzval ou Anaplastigmat réputés de grands opticiens français du XIXe début du XXe, mais en attendant d’acquérir un Hermagis, Darlot ou Derogy à des prix de dingue, j’ai envie de faire de la photographie! D’où l’intérêt pour ces triplets d’épiscope, et qui, croyez-moi, sont d’une qualité surprenante. J’en ai acquis trois différents, dont voici le test.
Les épiscopes
Le nom commun de ces appareils est bien épiscope, du grec epi (sur) et skopein (regarder) appareil servant à la projection sur écran par réflexion d’objet opaques (sauf l’épidiascope qui est destiné aux documents transparents).
Les objectifs d’épiscopes (d’épidiascopes ou bien d’opascopes ) sont généralement basés sur des formules optiques d’anastigmat ou de triplet de Cooke. Ce dernier est très intéressant car le fameux, que dis-je, l’illustre Voigtlander Heliar, l’objectif mythique des portraitistes, est en fait un triplet de Cooke amélioré!!!
Il existe 3 types d’appareils :
- L’Opascope : appareil permettant la projection de documents opaques
- L’Épiscope : appareil qui se pose sur le document à projeter. Il dispose d’un miroir et projette dans un plan perpendiculaire au document…
- L’Épidiascope : appareil permettant la projection de documents transparents avec une source lumineuse derrière l’objet
Histoire des Epidiaskopes et Episcopes |
J’ai donc décidé de tester 3 objectifs dédiés à la projection de documents opaques afin d’avoir une référence pour mes prises de vues. Il s’agit des :
- Objectif d’Opascope Charles Beseler 18″ 457mm f/3.6
- Objectif d’Episcope Berthiot 550mm f/5.5
- Objectif d’Epidiascope Leitz Epis 400mm f/4
- Beseler 457mm f/3.6 : ce fût mon premier achat en optique d’épiscope. En fait il provient non pas d’un Episcope mais d’un Opascope « Beseler » : un 18″ (457mm) f/3.6. Un énorme tromblon qui, dans un premier temps, m’a un peu déçu d’un côté : peu de contraste et un piqué moyen. Mais en lui ajoutant un diaphragme en carton noir d’une valeur de f/4.5, j’ai pu améliorer le piqué, avoir un peu plus de profondeur de champ, et un peu moins d’aberrations chromatiques, vous allez le constater.
- Berthiot 550mm f/5.5 : dès que j’ai vu cet objectif et son épiscope « SEDAINE » dans une annonce, j’ai sauté sur l’occasion. Un magnifique triplet Berthiot anastigmat d’une focale de 550mm, waooh! Le résultat est-il est à la hauteur de mes espérances? J’ai quand même été déçu à sa réception car les lentilles sont mangées par les fungus (champignons).
Malgré un démontage et un nettoyage à l’alcool à 95°, rien à faire les taches sont encore là…Tant pis, de toutes façons cela n’altère en rien la qualité des photos, vous allez le voir!
Edit au 23/09/019 : j’ai pu supprimer pratiquement tous les filaments de fungus grâce à une méthode que j’ai trouvé récemment. Il s’agit du peroxyde d’hydrogène à 3%, et ça marche du tonnerre! Le fungus frais ou vieux et sec, partent aussitôt que la lentille est nettoyée avec le peroxyde, c’est vraiment efficace. - Leitz Epis 400mm f/4 : cet objectif provient d’un Epidiascope « Leitz ». Il est disponible en plusieurs modèles : il y a un 800mm f/3.5, un 600mm f/4 et un 1000mm f/6 !!!!! C’est un triplet de Cooke de grande qualité. Il provient d’une annonce et je n’ai pas eu à bourse délier car c’était un don..
Test
Les tests ont été effectués sur ambrotype avec un collodion légèrement âgé (quelques semaines) et un révélateur (ou développeur) basé sur une formule au vinaigre blanc, au sulfate de fer, au nitrate de potassium mais sans sucre. Les 3 prises de vues ont été faites pour que le sujet ait à peu près la même taille sur le dépoli. J’ai donc reculé ou augmenté la distance sujet-objectif en fonction des focales. J’ai utilisé un panneau réflecteur argenté pour éclairer un peu le sujet qui était en contre jour. La mise au point a été effectuée à chaque fois sur l’objectif du TLR SEMFLEX afin que l’on puisse voir le niveau de netteté des inscriptions. Une lampe Pigeon en retrait, permet devoir la qualité du flou.
Je précise même si cela va de soi, que j’ai pris un grand soin à faire la mise au point « aux petits oignons » afin d’éviter toute ambiguïté!
Résultats du test
Les 3 ambrotypes ont été scannés en niveaux de gris avec ce même histogramme (10-0.64-100), afin d’avoir des niveaux égaux en entrée. Ils ont été scannés en mode opaque avec un fond noir. Les scans affichés ici sont bruts : aucune correction dans Photoshop, ni ajout de netteté, ceci afin d’avoir une vue précise des différences.
Les détails (agrandissements de la zone de l’objectif du SEMFLEX) ont vu leurs niveaux ajustés, et un peu de netteté a été rajoutée afin de bien pouvoir lire les inscriptions autour de l’objectif.
Le Beseler est configuré à f/4.5 puisque je lui ai collé un diaphragme en carton, sinon le temps de pose aurait été de moins d’1 seconde! Les conditions de prise de vues (distance, temps de pose) sont indiquées en survolant les photos.
Il est intéressant de voir de prime abord que le Leitz Epis 400mm est plus contrasté que les autres, et de beaucoup. On peut aussi remarquer l’effet « bubbles bokeh » du Beseler 457mm (sur la molette de gauche). Qu’on l’aime ou pas, c’est une des particularités des triplets.
En visualisant de plus près les résultats, on s’aperçoit que le Leitz Epis a une plus faible profondeur de champ que les autres tout en restant net sur la partie mise au point.
Les trois font à peu près jeu égal, mais pour moi, le grand gagnant de ce test est le Berthiot 550mm!
C’est celui qui demande un plus grand tirage de soufflet mais en piqué et en qualité d’image il surclasse les deux autres.
Un ambrotype réalisé avec le Beseler 457mm f/3.6 à pleine ouverture.
Disclaimer : mes prises de vues, mes conseils et mes expérimentations n’engagent que moi. Ces articles me sont d’abord à titre personnel, d’une grande utilité. Je suis assez scrupuleux sur mes écrits. Je vérifie et cite quand il se doit mes sources…malgré tout il peut subsister quelques erreurs notamment sur la science de l’optique et de la couleur, car rien n’est gravé dans le marbre sauf la physique! Pour conclure, je partage juste mon expérience personnelle, mes impressions et mes expérimentations. Si elles peuvent servir aux lecteurs, j’en serai heureux! J’espère en faire profiter un plus grand nombre en les partageant. |
bonjour
très interessant. Suite a la lecture de cet article j’ai acquis a peu de frais un opascope que j’ai explosé afin d’en extraire le « caillou » de 2530g (!) a savoir le Beseler 18 pouces (457mm)
je lai monté sur ma chambre 20×25.
je souhaite sacrifier un peu de l’ouverture pour optimiser le contraste comme vous l’avez fait en introduisant un « diaphragme ». Ma question est la position de ce diaphragme. Merci de votre contribution
bonsoir
j’ai positionné le « diaph » en carton noir à l’arrière, ne pouvant démonter les lentilles, car sa position idéale est juste après la lentille du milieu, là où convergent les rayons
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/ad/Cooke.png
Réponse éclair et limpide merci beaucoup
Je vais peut être tenter le démontage qu’en pensez-vous ?
Désolé pour la réponse tardive, un démontage pourquoi pas, je vous souhaite du courage pour trouver les outils! Si vous y arrivez ce sera avec plaisir de voir ce que ça donne!
Super blog et merci de pour tes tests !
je viens d’acquérir un leitz epis 400mm F4. Sont-ils pourvus de 3 lentilles ou bien 2 ? j’ai l’impression que le mien manque d’une lentille centrale…
Merci de ton retour
merci Michael, je te connais par le biais de ton site et ce depuis un bon moment et j’apprécie également ton travail!
je te confirme que les Epis Leitz sont bien des triplets de cooke,donc pourvus de 3 lentilles, comme la majorité d’objectifs d’épiscopes, d’opascopes, et d’épidiascopes.
il est difficile de vérifier l’absence d’une lentille au milieu, le meilleur test à faire est de pointer l’objo vers un sujet à plusieurs dizaines de mètres, tout en ayant une feuille blanche derrière l’objectif, et de faire le point en le bougeant longitudinalement, en principe l’image sera nette sur la feuille en étant à une distance de 40 cm du centre de l’objo (logique)
l’image doit être nette partout, si ce n’est pas le cas il se peut qu’il manque le milieu mais franchement ça m’étonnerait, qu’est ce qui te fait dire ça?
au fait depuis j’ai acheté un Leitz Epis 500mm f/4.3, excellent tout comme le 400mm
de bien belles optiques!
Bonjour Guillaume et merci de ton retour.
J’ai pu vérifier l’absence de la lentille centrale en démontant la partie avant qui comporte deux trous et permettent ainsi de dévisser. Fort heureusement, le vendeur reprend l’optique inexploitable.
Je vais donc m’employer à retrouver un équivalent en 400mm ou 500mm.
Un grand merci pour ton aide !
bonjour
à propos du Leitz Epis 400mm, on t’a donc vendu un objo sans lentille centrale? quel est le margoulin qui t’a vendu ça? et quel prix l’a tu acheté?
sinon je possède un Epis 400mm f/4 et un 500mm f/4.3, je peux m’en séparer d’un des 2
voici un peu de littérature qui confirme que ce sont des triplets et que leur formule est très proche de l’Heliar
http://www.largeformatphotography.info/forum/archive/index.php/t-89332.html
a plus
Bravo a la fois technique et abordable ! Merci.
On voit souvent un bokeh ou flou plutôt en cercle, tournant ou tourbillonnant sur les photos à « l’ancienne », c’est la chambre ou le procédé type collodion par exemple ou bien l’objectif qui donne ce bel effet tourbillonnant très artistique ?
Merci
L’effet tourbillonnant (swirly bokeh) est la signature des objectifs de type “Petzval”. Cette construction optique a été inventée à l’époque où les objectifs de chambre étaient bons, corrigés optiquement, mais peu lumineux ce qui entrainait des temps de pose inimaginables. Mr Petzval a tout simplement inventé les objectifs les plus lumineux de l’époque. Ils étaient nets au centre à pleine ouverture MAIS au détriment d’autres aberrations optiques périphériques et entre autres cet effet tourbillonnant. Donc cet effet est dû uniquement au type d’objectif et non au procédé.
http://www.hocus-focus.fr/glossary/petzval/
Chouette article. J’adore votre passion et la façon dont vous la partagez. Merci !!! Thierry
Merci, effectivement je suis passionné et j’aime le faire partager!
Merci très interessant
Avec plaisir