Nous avons perdu cette connexion émotionnelle avec les photographies |
Je cite Jacqueline Roberts, photographe collodionniste qui résume parfaitement l’état d’esprit :
« (…) pour moi, les plaques humides vont au-delà du processus photographique lui-même. C’est une sorte de voyage intérieur. Un état d’esprit. Dans le monde numérique d’aujourd’hui, nous sommes inondés d’images. Lorsque l’on regarde en arrière, les photographies comptaient parmi certains de nos biens les plus précieux. Nous avons perdu cette connexion émotionnelle avec les photographies. La plupart des images que nous prenons sont devenues jetables et vides de sens. Je veux que l’image redevienne précieuse. Je cherche à créer des images qui sont uniques, qui ont de la valeur. Un autre aspect essentiel dans mon travail, c’est de faire pause et de prendre le temps de créer une image. Mes portraits sont à propos du temps. Le temps qui passe. Le temps suspendu. Le temps devant ou derrière nous.(…) »
https://www.jacquelineroberts.com/
Je rajouterai que le collodion, même si cette découverte est très récente pour moi (2018), a changé ma façon d’appréhender la photographie et m’a permis de retourner à ce qui en fait l’essentiel. Je pense ne pas pouvoir me lasser de regarder des portraits réalisés avec cette technique, car à chaque fois, une émotion me submerge, et j’ai cette impression de plonger dans l’image. La technique y est pour beaucoup quoiqu’on en dise et la technologie également. Une photo au collodion réalisée à la chambre et avec un objectif en laiton de type Petzval (comme le fameux Dallmeyer 3a ou 3b fabriqué au XIXe siècle) est un choc visuel. Nous sommes à la frontière du pictorialisme et l’on plonge dans une aventure visuelle qui nous rappelle que le savoir-faire ancestral dans les optiques et cette technique sont au service de l’émotion pure.
Cela faisait quelques années que je caressais l’idée de faire du collodion humide, mais le manque de temps, le prix (le nitrate d’argent est hors de prix) et peut-être aussi la peur de tout rater et de m’en désintéresser ont freiné mes ardeurs.
Le collodion humide est une technique photographique qui date des débuts de la photographie. En ces temps-là, le calotype de William Henry Fox Talbot et le daguerréotype de Nicéphore Niépce et Louis Daguerre étaient légion. Le seul problème, c’étaient les temps de pose interminables de plusieurs minutes…puis vint le collodion humide, technique largement démocratisée par Frederick Scott Archer en 1851 et qui révolutionna la photographie grâce à des temps de pose réduits à quelques secondes, incroyable pour l’époque! Une chambre photographique, quelques plaques en fer ou en verre, du collodion et du révélateur/fixateur suffisaient pour sortir l’équivalent d’un Polaroïd d’aujourd’hui!. Technique complexe (dans l’élaboration des chimies et dans le respect des procédures) qui permettait d’avoir des tirages positifs de suprême qualité en quelques secondes, rendez-vous compte!
« La technique du collodion humide, produit un négatif sur verre qui, posé sur un fond noir, devient un positif appelé ambrotype. Elle consiste en une épaisse émulsion liquide appliquée sur une plaque de verre, qui est ensuite plongée dans un bain de nitrate d’argent, puis transférée dans un châssis étanche à la lumière. Les prises de vue se font à la chambre photographique. Le délai entre la prise de vue et le développement est très court, une rigueur et un soin extrêmes sont demandés, mais elle permet d’obtenir une finesse de grain, une précision et une subtilité dans les tons qui a fait son succès jusque dans les années 1880, date de l’apparition des plaques à gélatine sèche et qui enterra la technique du collodion humide jusqu’à nos jours, où le regain d’intérêt est grandissant.«
Après moult lectures de forums, ingurgitation de nombreux ouvrages et articles, j’ai donc décidé, en juin, de passer le cap et j’ai donc commandé sur le site Wetplatesupplies en UK, tout le kit de démarrage qui se compose de :
- 10 plaques d’aluminium noir 13×18,
- Vernis Sandarac – 250ml,
- Révélateur au sulfate de fer 500ml,
- Collodion pré-mixé « Poe Boy » – 250ml,
- Solution de nitrate d’argent 10%- 500ml,
- Des gants en nitrile noirs,
- Des cuves 18×24.
Il me fallait également du fixateur, des brocs et béchers. Mais il me manquait aussi 3 choses :
- Un objectif digne de ce nom pour monter sur ma chambre 13×18 et qui me donne une focale équivalente à un 60mm,
- Un étendoir en bois pour les plaques,
- Une cuve de sensibilisation au nitrate d’argent pour les plaques.
Pour l’objectif « portraits » j’ai donc adapté une planchette en bois pour pouvoir fixer ce mastodonte : Rodagon 300mm f/5.6 (équivalent à un 60mm f/1.1 en 24×36), sur ma pauvre petite chambre qui se passerait bien de cet embonpoint car le poids vers l’avant est conséquent, mais la chambre tient le coup. Il s’avère être une bombe en terme de piqué et de bokeh . Je n’ai pas les moyens de m’acheter un objectif de formule Petzval tel un « Hermagis » et encore moins un « Darlot »!
Pour ce qui concerne l’étendoir et la cuve de sensibilisation j’ai décidé de la fabriquer. J’entrepris alors, avec un peu de contreplaqué, de colle à bois, une gourde en plexiglas de 750 ml (sur Amazon) et de l’huile de coude, de fabriquer cette boite dont voici les différents stades de fabrication :
On peut également voir l’étendoir, qui ne m’a couté que quelques bouts de sapin…
Tout était prêt et opérationnel, encore fallait-il un endroit pour la prise de vues…J’ai donc transformé une annexe attenante à la maison en studio de prises de vues.
Le collodion demande ÉNORMÉMENT de lumière pour être impressionné. La substance sur la plaque ne fait que 0.5/1.5 ISO, tout dépend de la formule, de son ancienneté, de sa conservation, etc…D’autre part, il n’est sensible qu’au longueurs d’ondes bleues et UltraViolet. Il est bien sûr inutile d’inonder le studio de 4000w en 2700°K de lumière halogène car la substance ne verra rien : tout ce qui va du rouge au jaune en passant par le vert est « invisible ».
J’ai donc installé :
- 2 gamelles avec 2 lampes de 35w en 6500°K chacune équivalente à 350w
- 1 boite à lumière équipée de 4 tubes fluo dont 2 en 6500°K
- 1 réflecteur argenté DIY
Après quelques premiers essais évidemment infructueux, dûs essentiellement à mes tâtonnements dans les temps d’exposition, les temps de révélation et le contrôle de la température, j’ai commencé à sortir de bons clichés à partir de la prise de vue de la sculpture. Puis j’ai réalisé quelques portraits de Malou, ma femme, et enfin Jacques, un ami. J’ai essayé le ferrotype (sur plaque noire d’aluminium), l’ambrotype (sur plaque de verre) et le ferrotype mais sur plexiglas noir, tous les 3 ont un rendu différent. Alors que le ferrotype donne des tons chauds et beaucoup de demi-tons argentés très agréables, l’ambrotype lui, produit une image beaucoup plus contrastée.
J’expliquerai dans de prochains articles l’évolution de cette aventure qui s’avère passionnante, surtout que j’ai décidé à partir de maintenant, de fabriquer moi-même mes propres chimies! En effet, aucun site français ne propose à la vente ces composants essentiels, il faut se fournir en UK, en Allemagne ou aux States…avec bien sûr des prix d’expéditions de l’ordre de 50/60 euros arghhhh. J’ai donc commencé par confectionner le révélateur au sulfate de fer (pas très difficile à réaliser). En effet, pour cette recette DIY, il faut :
- Du sulfate de fer,
- De l’acide acétique (ou du vinaigre blanc cristal),
- De l’ethanol,
- Du sucre.
Ce révélateur présente l’avantage d’être simple tout en étant efficace, et non polluant, mais surtout il ne coûte presque rien : le sulfate de fer est vendu quelques euros au rayon jardin des magasins.
Regardez le rendu superbe du « Semflex » avec ce révélateur!
(Toutes les prises de vues ont été réalisées à la chambre 13×18 et au Rodagon 300mm f/5.6 sauf « Jardin », réalisé avec le Protar Krauss 285mm f/12.5).
Edit : ça y est, elle est faite ! Prochaine étape, fabrication d’une chambre noire pour l’expérimentation de mon objectif d’Episcope 457mm f/3.6.
En attendant, je trouve le résultat à la hauteur de mes espérances :
Disclaimer : mes prises de vues, mes conseils et mes expérimentations n’engagent que moi. Ces articles me sont d’abord à titre personnel, d’une grande utilité. Je suis assez scrupuleux sur mes écrits. Je vérifie et cite quand il se doit mes sources…malgré tout il peut subsister quelques erreurs notamment sur la science de l’optique et de la couleur, car rien n’est gravé dans le marbre sauf la physique! Pour conclure, je partage juste mon expérience personnelle, mes impressions et mes expérimentations. Si elles peuvent servir aux lecteurs, j’en serai heureux! J’espère en faire profiter un plus grand nombre en les partageant. |
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